Histoire
Historique de Saint-Alban sur Limagnole
Saint-Alban fut d’abord une forteresse féodale construite en 1245, les Anglais l’occupèrent en 1364. Elle a appartenu au comté du Gévaudan.
Elle devient une seigneurie au Moyen-Age. Au XVIème siècle fut construit près de la forteresse un vaste château.
Culture locale et patrimoine
Le chateau de Saint-Alban sur Limagnole
Ancienne propriété des barons d'Apcher puis des barons de Molette de Morangiès.
Durant la deuxième moitié du XIVème siècle, pendant la Guerre de Cent Ans, des mercenaires à la solde des anglais saccagent la région. Ils tentent à plusieurs reprises de récupérer le château.
En 1414, Bernard d'Armagnac et une troupe armée s'emparent du château. Certains historiens pensent que le donjon a été rasé et les fossés comblés.
Au XIVème siècle, la famille Louet de Calvisson possède le château puis au début du XVIIème siècle, par mariage, le château appartient à François de Molette puis ensuite à la famille Morangiès. Ces nouveaux propriétaires transforment l'antique forteresse médiévale en château de confort.
Le portail d'entrée est construit en arkose rose. Les bâtiments sont disposés autour d'une cour intérieure et chaque angle est marqué d'une tour ronde. Les fenêtres à meneaux sont aussi construites avec de l'arkose rose.
En 1740, après la mort du dernier Baron de Canilhac, Pierre-Charles, Marquis de Morangiès, achète le titre de Baron. Saint Alban sur Limagnole devient le siège de cette Baronnie.
Durant la deuxième moitié du XVIIIème siècle, une bête, nommée « bête du Gévaudan » sévit dans la région. Le château devient l'un des points de ralliement pour les battues.
Au XIXème siècle, il est transformé en hôpital psychiatrique. Cette fonction durera plus d'un siècle alternant entre "asile" privé puis départemental. En 1942, le château est classé aux Monuments Historiques. En 1993, l'hôpital est déplacé. Des travaux sont entrepris pour moderniser les salles devant accueillir le public.
De nos jours, le château abrite l'Office de Tourisme Margeride en Gévaudan. On peut visiter sa magnifique cour intérieure, de style Renaissance.
L'Église de Saint-Alban sur Limagnole
L'Église est de style roman. Les disciples de Saint-Alban sur Limagnole, martyr anglais décapité en 303, auraient évangélisé la région, établissant ici un monastère. Sa construction débute au XIIème siècle pour se poursuivre aux XIVème et XVème siècles. La bâtisse est restaurée après les guerres de religion puis agrandie au XIXème siècle.
La partie la plus ancienne est le chœur, sa travée comprend une trappe qui mène à une crypte. Elle possède un imposant clocher-peigne à 2 niveaux d'arcatures qui porte à sa croix, une bête du Gévaudan. Son acoustique remarquable permet la tenue de nombreux concerts durant la saison estivale.
La "bèstia" (la bête du Gévaudan)
Animal légendaire à l'origine d'une série d’attaques contre des humains survenue entre 1764 et 1767, sous le règne de Louis XV. La bête a principalement sévi dans le pays du Gévaudan, elle aurait fait plus de 80 victimes dont 70 en Lozère. Quelques cas ont été recensés en Auvergne, dans le Rouergue ou au sud du Velay. Sur le secteur de Saint-Alban sur Limagnole, des agressions sont rapportées notamment sur le site de la Bessière. L’histoire de la bête du Gévaudan dépassa le stade du simple fait divers, elle mobilisa des troupes royales et des battues furent organisées.
Loup, loup-garou, animal dressé pour tuer ? Toutes les thèses ont circulé. Le fait est que les massacres cessent après 1767, date à laquelle Jean Chastel tua un animal identifié comme un loup ou un canidé.
En Lozère et plus particulièrement en Margeride, de nombreux sites touristiques entretiennent la légende de la bête avec des musées, des statues ou des sentiers pédagogiques. De nombreux livres, bandes-dessinées ou films ont également mis en scène cet animal.
Le chemin de Saint-Jacques de Compostelle (GR65)
Saint-Alban sur Limagnole se situe sur le chemin de la via Podensis nom latin d'un des quatre chemins de France du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Il part du Puy-en-Velay et traverse le Gévaudan puis l'Aubrac, la vallée du Lot, le Gers, les Landes et s'achève à Saint-Jean-Pied-de-Port, en terre basque.
Godescalc, évêque du Puy, inauguré en l'an 950 cette "Via Podiensis" qui prend son élan dans les ruelles de la ville.
Aujourd'hui GR65, balisé par la Fédération de Randonnée Pédestre, il est arpenté chaque année par environ 25 000 personnes.
Eugène Grindel est Paul Eluard (patronyme emprunté à sa grand-mère)
Paul Eluard est né en 1895 sous le nom d'Eugène Grindel dans la région parisienne. Mobilisé en 1914 puis éloigné des champs de bataille pour raison de santé. Cette expérience de la guerre le traumatisme et lui inspire “Poèmes pour la paix”, publié en 1918. Il rencontre alors l'avant-garde littéraire et culturelle de l'époque et rejoint Aragon , Breton, Dali et Picasso en autres.
Démobilisé après l'armistice de 1940, Il trouve le bonheur auprès de Maria Benz, surnommée Nusch qu'il épousera en 1944.
En octobre 1942, “Poésie et Vérité” est édité , le recueil débute par le poème “Liberté” qui est largement diffusé, traduit en anglais et réédité à Londres. Eluard connaît la célébrité mais aussi l'inquiétude d'être capturé par la Gestapo.
En novembre 1943 , Eluard et sa femme quittent Paris pour Saint-Alban sur Limagnole où Bonnafé alors directeur de l'hôpital mais aussi responsable du maquis de la résistance de Margeride Nord, leur offre l'hospitalité. Inscrit sous son vrai nom, Grindel, il y est admis pour “névrose légère” Eluard ne reste que quelques mois à Saint-Alban sur Limagnole et fera des allers-retours entre la capitale et la Lozère. Caché dans l'hôpital en compagnie de son épouse Nusch, Eugène Grindel va être attentif aux malades qui l’entourent, les observer, se questionner. La folie l'a toujours intéressé, son premier poème s'intitulait d'ailleurs "Le fou parle".
En Lozère, il écrit des poèmes comme "le cimetière des fous" . Ce poème est gravé sur une plaque dans ce qui reste de l’ancien cimetière de l’Hôpital et il “dresse l'inventaire de l'effacement de ces fous de la communauté des hommes “ (Henri Rodier).
Paul Eluard alias Eugène Grindel utilisera également le pseudonyme de Jean de Haut pour signer ses productions.
De Saint-Alban sur Limagnole , il fait imprimer des textes à Lyon mais la distance le contraint à se replier sur Saint-Flour où Il y crée la maison d'éditions clandestines, La Bibliothèque Française. Son poème "Liberté, j’écris ton nom" circule toujours sous le manteau.
Eluard se passionna également pour les productions de certains patients que l'on nommera plus tard “Art brut" (Jean Dubuffet). Parmi les œuvres phares réalisées au château on trouve celles d’Auguste Forestier, Marguerite Sirvins et Clément Fraisse.
La création du château
La reconversion du château en hôpital
En 1821, l'héritier Christophe Théodore de Morangies se retrouve ruiné et vend le château à Sylvain Boissier. Le château deviendra un asile d'aliénés, sous l'impulsion d'un religieux qui avait étudié la médecine, Hilarion Tissot, frère de l'ordre de Saint-Jean de Dieu.
Tissot est aidé par des religieuses mais gère mal l'asile. A partir de 1824, le préfet décide son acquisition par le département et devient un asile départemental pour les femmes puis pour les hommes en 1850. Le château devient alors trop petit, des bâtiments destinés à héberger les hommes sont alors construits sur le plateau.
En 1888, le philanthrope Théophile Roussel propose d'acquérir la ferme du Villaret (à un kilomètre environ du château) pour en faire une colonie agricole, à proximité se situe un institut médico-pédagogique.
En 1900, l'asile comptait 600 malades. Les visites y étaient interdites, les gardiens n'avaient aucune formation ni connaissances spécifiques.
Au début du 20ème siècle, l'hôpital est toujours géré par les sœurs de la congrégation de Saint-Régis.
En 1936, une épidémie de typhoïde ravage l'asile entraînant la mort de malades. Mais cette catastrophe a néanmoins permis par la suite de prendre des mesures d'hygiène en installant des sanitaires, on construisit également une infirmerie. De plus, un psychiatre lyonnais, Paul Balvet arrive à la direction de l'hôpital. Il lance des réformes pour humaniser les soins. L'hôpital héberge alors 500 malades.
A cette époque, l'hôpital n’accueillait pas que des lozériens. Des psychotiques bannis de leur famille fortunée y étaient fréquemment adressés.
Les religieuses, "les nonnes" comme les appelait François Tosquelles ont occupé tous les postes tour à tour infirmière, surveillante-chef...
Une double résistance
Dès 1940 , des difficultés d'approvisionnement apparaissent. Alors que le régime de Vichy laisse partout en France mourir les internés de faim, de froid dans des conditions effroyables, l'hôpital de Saint-Alban sur Limagnole, sous l'impulsion de son Directeur, Lucien Bonnafé et d'un psychiatre catalan ayant fui l'Espagne, François Tosquelles, veilleront à préserver au maximum les malades. Pour survivre , toutes les personnes valides sont mobilisées. C'est l'hôpital qui doit changer et «s’ouvrir» : l'aide des patients est proposée aux fermes environnantes qui manquent de main d’œuvre en échange de nourriture. Les patients et infirmiers cultivent ensemble des potagers pour améliorer le quotidien. A l'intérieur de l'hôpital, les femmes réalisent des travaux de couture, tricotent. Ces réalisations serviront de troc contre des produits alimentaires. Les ateliers d'ergothérapie se recentrent sur des objets qui pourront être revendus.
La fabrication de faux certificats de tuberculose a permis à des malades fragiles de bénéficier d'un supplément alimentaire. “On a inventé un service de tuberculeux“ dira François Tosquelles, 40 000 malades mentaux , soit la moitié des hospitalisés sont morts de faim ou de froid en France durant les années d'occupation. L'asile de Saint-Alban sur Limagnole semble être le seul à avoir fait exception.
Cette expérience de lutte contre la faim sera fondatrice de la révolution psychiatrique qui suivit la guerre et jeta les bases de la psychothérapie institutionnelle.
"Caché dans la maison des fous"
De part sa situation géographique bien spécifique (éloignement des grandes villes, isolement en montagne) l'hôpital va favoriser la rencontre de nombreux clandestins ayant fuit le régime nazi ou franquiste. Des intellectuels, des médecins, des hommes de lettres comme Tristan Tzara, Georges Canguilhem se côtoieront au milieu des patients !
L’asile de Saint-Alban sur Limagnole a permis pendant l'occupation à de nombreux résistants ou maquisards blessés suite aux combats du Mont-Mouchet de trouver refuge et protection.
L'hôpital servira aussi de plateforme d'édition clandestine grâce à l'imprimerie du Club des malades de l'hôpital et recevra d'importants agents de liaison comme Georges Sadoul ou Gaston Baissette.
De l'après-guerre à aujourd'hui
"Un aliéné est aussi un homme que la Société n'a pas voulu entendre et qu'elle a voulu l'empêcher d'émettre d'insupportables vérités." Antonin Artaud
De formation psychanalytique Tosquelles met en pratique deux concepts qui lui sont chers. D'une part, la vision d'Hermann Simon selon laquelle "il faut soigner l'hôpital avant de soigner les gens" et d'autre part la pratique lacanienne.
Véritable lieu d'effervescence artistique et intellectuelle. Saint-Alban sur Limagnole est considéré comme le berceau de la psychothérapie institutionnelle où l'accent est mis sur la dynamique de groupe, la relation soignants - soignés et l'humanisation des soins.
La "Société du Gévaudan" créée par Balvet , Bonnafé, Chaurand et Tosquelles posent les bases d'une pratique psychiatrique selon laquelle "les soins, la recherche et la formation" sont intégrées dans une démarche collective qui jettent les lignes directrices de ce qui deviendra plus tard sous l'influence du marxisme et de la psychanalyse la "psychothérapie institutionnelle".
Pendant l'occupation , la Société du Gévaudan permettra de faire passer vers la France des ouvrages ou des clandestins.
Ce concept de psychothérapie institutionnelle fondé vers 1960 a été porté par des psychiatres comme François Tosquelles (Saint-Alban), Jean Oury (Clinique de la Borde) et Yves Racine entre autres.
Pour Oury "les hôpitaux gardaient, en général, une structure concentrationnaire". L’élan fondateur fut la prise de conscience que les infirmiers se comportaient comme des gardiens sans dimension soignante. Il faut dorénavant considérer le patient comme partie prenante dans sa prise en charge qui ne se résume plus à une hospitalisation au long court ni à des thérapeutiques lourdes mais à des soins adaptés qui lui permettent de retrouver sa place dans la société.
En 1965, n'ayant plus de raison d'être, les murs d'enceinte sont supprimés, l'hôpital est pleinement intégré au village. Les monuments historiques ordonnent la démolition de la chapelle de l'hôpital, illégalement adossée au château. Les sœurs et les patients en réclament une nouvelle. Le Directeur d'alors, Yves Racine donne son accord à condition que ce soient les patients et le personnel qui la construise , et ce ,sans aucune limite de temps pour y parvenir ! Cette construction durera cinq ans.
Racine demande aux infirmiers en soins généraux (IDE) qui veulent travailler à St-Alban de passer leur diplôme d'infirmier de secteur psychiatrique (ISP), soit deux ans de formation.
La mise en place de la psychiatrie de secteur dans les années 1970 va avoir une influence déterminante dans l'extension des idées et des pratiques issues de la psychothérapie institutionnelle.
A partir des années 80, la psychiatrie va subir des réformes politiques (division de moitié du nombre de psychiatres sortant de la faculté, critères de rentabilités dans la gestion des hôpitaux psychiatriques...) La maladie mentale va désormais être appréhendée par une approche biologique ou par des traitements médicamenteux.
Afin de contrer ce déclin, l'association culturelle instaure à partir de 1986, les "Rencontres de Saint-Alban sur Limagnole” des équipes soignantes venues de toute le France échangent sur leur pratique pendant deux jours.
"Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c'est l'homme même qui disparaît"
François Tosquelles
"Une des bases de la psychothérapie institutionnelle, c'est l'amitié"
François Tosquelles